Quand vous demandez à Marie-Madeleine quelles activités associatives elle a menées dans sa vie, prenez la précaution de vous asseoir pour écouter sa réponse, il est conseillé de prendre des notes, histoire d’être sûrs de ne rien oublier. Sa vie est jalonnée de rencontres qui ont débouchées sur autant d’engagements. Elle les égrène comme un grognard de la Vieille Garde ses campagnes napoléoniennes.
Marie-Madeleine est tombée tôt dans la marmite au service des autres, dès l’adolescence, avec les Jeunesses Ouvrières Chrétiennes (JOC), dans son village natal du Loiret, où elle participait au « ramassage des vieux papiers » pour collecter un peu d’argent pour les plus démunis. La vingtaine à peine et le bac en poche, elle monte à Paris poursuivre ses études dans le secteur médico-social, et rencontre André, ingénieur de la Ville de Paris, qui deviendra son mari. D’abord à Viroflay, le couple avec ses deux enfants s’installera à Paris en 1987, à la Porte d’Aubervilliers.
Dans ce quartier populaire d’un arrondissement qui l’est lui-même beaucoup, le 18ème, Marie-Madeleine trouve un boulot dans un cabinet médical. Nous sommes dans les années 80 qui baignent encore dans les effluves de Mai 68, les toubibs du cabinet sont socialement engagés. L’un d’eux participe aux maraudes du « Bus des femmes », une association de soutien aux prostituées. Distribution de préservatifs, examen médical, aide sociale, tout cela demande un sérieux support administratif, Marie-Madeleine offre ses compétences, et se retrouve embarquée dans l’association.
Avec quelques collègues, les médecins du cabinet, dont l’un était parfois missionné par APF France handicap, ils créent un réseau indépendant, le Collège d’Expertise Médicale pour aider les personnes victimes d’accidents de la vie à faire valoir leurs droits face aux compagnies d’assurance. En fait d’expertise, il s’agit plutôt de contre-expertise. Ils excelleront tellement dans cette démarche militante qu’ils finiront tous experts auprès des tribunaux de Paris, l’un d’eux étant même régulièrement sollicité par les médias, puisqu’ils seront aux côtés de SOS Attentat, association de victimes parmi les pionnières, présidée par Françoise Rudetzky. Marie-Madeleine sera de l’aventure.
Au cabinet médical, elle voit défiler les alcooliques, femmes et hommes de tout âge. Nos habitudes de consommation ont beaucoup changé. On a oublié combien à cette époque l’alcool était un fléau sanitaire et social. Marie-Madeleine appartient à une génération où les enfants ont grandi en entendant moult histoires du même acabit, « machine a démarré sa cirrhose », « untel était tellement bourré qu’il est tombé dans son puits », « bidule, au calva à 6 heures du mat, il s’est flingué le cerveau ». Par le biais des consultations, Marie-Madeleine rencontre une association, « Que dois-je faire, il, elle boit », qui aide l’entourage, la famille et les proches d’une personne alcoolique. Nouvel engagement, au point que Marie-Madeleine reprendra des études pour décrocher deux diplômes, un d’alcoologie et une Maîtrise Sciences et Techniques en santé mentale.
En 1987, nouveau déménagement. Le service des eaux de la Ville de Paris dans lequel André travaille est privatisé, et ils perdent leur appartement de fonction. Les voilà à Drancy, en Seine-Saint-Denis, En 1992, année de leur adhésion, ils se sont retrouvés à taper la chansonnette en grattant la guitare sur les parkings de supermarchés et sur les marchés de Seine-Saint-Denis pour collecter des fonds lors de la semaine nationale du handicap, avec Jean-Marie Barbier, rencontré quelques années plus tôt, montreuillois qui deviendra plus tard président d’APF France Handicap et un ami, ainsi que Marc Rouzeau, alors Directeur de l’Association. Ils ont mis le doigt dans l’engrenage, au point qu’André sera élu au CA et deviendra trésorier d’APF France handicap.
Hasard, ou coïncidence ? Telle est la question que l’on se pose spontanément face à une ou un bénévole qui a embrassé la cause du handicap. Il y a-t-il dans son parcours de vie quelque chose qui expliquerait cet engagement ? Marie-Madeleine précise d’emblée qu’elle n’est pas en situation de handicap, son conjoint non plus. Son grand-père était aveugle, décollement des deux rétines à l’âge de 18 ans, mais menait sa vie normalement. Il rempaillait des chaises et fabriquait des balais, dans le noir évidemment, ce qui ne cessait pas d’étonner la petite fille qu’elle était, et la faisait rire.
Sa mère aussi a perdu la vue, progressivement. Un premier décollement de la rétine à un œil à l’occasion d’un pèlerinage à Lourdes, dans la cinquantaine. L’autre œil suivra et elle souffrira ensuite d’une dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) jusqu’à ne plus voir. La médecine des années soixante-dix n’était pas celle d’aujourd’hui. Marie-Madeleine raconte avec un brin de fatalisme dans la voix, pour mieux rebondir, et souligner les sens que son grand-père et sa mère ont développé pour compenser leur handicap. Son aïeul à l’odorat suraigus n’avait-il pas sauvé la famille d’une explosion de gaz en détectant à temps la fuite ? Sa mère avait une mémoire extraordinaire. On sent alors ce qui fait sa force, sa vitalité, son énergie, son optimisme. Il lui en faut pour vaquer à ses multiples hobbies, piano, rando, vélo autant que faire se peut, escalade et course en montagne à la première occasion. À 74 ans, excusez du peu.
Inévitablement, le chemin de Marie-Madeleine a croisé la politique. Elle a été élue municipale d’opposition à Drancy, au début des années 2000. Elle en parle de façon mitigée. D’un côté, les affrontements de personnes, les noms d’oiseaux, les manœuvres d’appareil, c’est pas trop son truc. De l’autre, elle a beaucoup appris, sur les relations humaines, le fonctionnement de la ville, de ses services. Elle a su y tisser ses réseaux, biens utiles quand il s’agit d’obtenir une subvention ou le prêt d’une salle pour les activités APF. Et des activités, Elle n’en manque pas. Sensibilisation au handicap dans les écoles, collèges, dans les centres de loisirs et au service municipal de la jeunesse, exposition de peintures, loto, sorties culture et randonnées, parfois les deux cumulés, en partenariat avec d’autres associations, mais aussi la participation à de multiples initiatives locales, fête de la ville, forum santé, journées des droits et devoirs de l’enfant, et autres.
Aux activités, s’ajoutent les mandats qu’elle exerce. Au sein d’APF France handicap, elle est d’abord élue au niveau du Département (CAPFD), puis de la Région (CAPFR). Elle est également investie dans le groupe « Prisons et Handicap » de l’association, qui défend les droits fondamentaux des personnes détenues en situation de handicap. En « externe », elle siège au Centre Communal d’Action Sociale (CCAS) de la ville de Drancy, mais aussi comme Représentante des Usagers (RU) dans un établissement de suite de soins et de réadaptation au Bourget, et au Comité d’Usagers de PAM 93, en charge du transport des personnes en situation de handicap en Seine-Saint-Denis, cible régulière du courroux de Marie-Madeleine.
Il faut préciser que le PAM 93, ou plus précisément ses dysfonctionnements, privent trop souvent les adhérents en situation de handicap de l’atelier piscine créé en 2000. Le mercredi, il y a piscine et pour Marie-Madeleine, c’est sacré ! Quand elle en parle, sa voix change. Elle vibre. “L’atelier piscine, c’est du lien social qui se crée, c’est des yeux qui brillent, des rires, c’est de la joie, des amis, des sensations retrouvées, comme celle de marcher, porté que l’on est par l’eau, de retrouver confiance. C’est aussi de la sensibilisation puisque nous avons un créneau aux heures d’ouverture du public. Ce qui a permis de « gagner » des bénévoles. Nous sommes tous à égalité !”. Elle aime ces moments, car elle sait combien ils sont précieux pour tous, elle qui pense souvent aux êtres chers qui sont partis depuis qu’a commencé la belle aventure, il y a vingt ans déjà. Des adhérents pour qui plonger dans l’eau était un bol d’air, mais aussi les bénévoles, si importants
En 2013, 13 ans après le début de cette activité, la commune de Drancy a accepté de financer un fauteuil de mise à l’eau, comme celui utilisé sur les plages, permettant de descendre les escaliers du petit bain. En 2016, c’est un siège-ascenseur pour le grand bain qui est mis en service, financé par le Conseil Départemental (anciennement Conseil Général), mais aussi par le Rotary-Club et le Lion’s Club, grâce à une collecte par le biais d’un concert gospel. Ces deux équipements sécurisent grandement les adhérents, qui sont entre 8 et 12 par séance, accompagnés d’autant de bénévoles. Un baptême de plongée est également organisé tous les ans (seule exception, 2020), avec une association de plongée de Drancy et des maîtres-nageurs agréés handisport. Le médecin du CMS de Drancy examine gratuitement les impétrants auparavant. Là aussi, sensations garanties.
Par ce mois d’avril 2021 morose de crise sanitaire, l’infatigable septuagénaire, continue ses représentations au sein d’APF France handicap et dans la cité.
Les fidèles sont impatients, et elle n’attend qu’une chose, « retrouver les amis dans la joie et la bonne humeur pour reprendre « l’atelier piscine » avec des baptêmes de plongée, des pique-nique, s’amuser, chanter, rire et danser ».