« Et c’est là que je suis tombée dans le coma pendant 5 mois ». Quand Claudie vous raconte sa vie, ses aléas, ses hauts et ses bas, sa voix est toujours égale, légère et grave à la fois. À son intonation, on sent que ça a été dur, qu’elle a souffert, mais qu’elle a surmonté ses difficultés ; que bon an, mal an, elle a su mener sa barque malgré les vents contraires. Elle dégage également une sérénité empreinte de sagesse que lui confère l’expérience de ses 62 ans.
Claudie a la chance d’avoir une passion qui l’a portée dans les difficultés et a fait sens dans sa vie, la musique classique. Quand sa mère venait la voir quotidiennement avec une de ses sœurs au service de soins intensifs, elle laissait toujours derrière elle de la musique classique. « Le résultat est là », comme dit Claudie.
En 1981, pianiste et professeur de piano, elle a une maîtrise de musicologie et quatre années de piano à l’École Normale de Musique de Paris. Elle raconte : « les projets pour une carrière artistique ne manquent pas entre une carrière de pianiste, de professeur de musique et de piano. C’est à ce moment-là, en septembre 1981, que j’entre dans les Chœurs de l’Orchestre de Paris. Très vite, une évidence s’impose à moi : pourquoi ne pas rejoindre le chœur de l’Opéra de Paris, moi qui aime chanter, jouer la comédie ? Je pourrai entrer dans la peau d’un autre personnage le temps d’une représentation. L’audition est programmée : cela sera le 4 janvier 1983.
Seulement, il n’en sera rien. Une malformation congénitale dans le cerveau "se réveille" dans la nuit du 30 au 31 décembre 1982 et fait des dégâts considérables après des complications vasculaires. Mon séjour à l’hôpital durera 9 mois avec 4 à 5 mois de coma profond. Puis, il me faudra faire un an de rééducation pour réapprendre à parler, à marcher, à manger, ...à vivre tout simplement ! Je suis devenue une personne handicapée.
Seulement, à force de rééducations, de cures en centre de rééducation fonctionnelle, et grâce à un entourage toujours présent, j’ai pu reprendre mes cours à la fac, malgré une main droite défectueuse, ainsi que les chœurs de l’Orchestre de Paris (COP), même si la corde vocale droite avait besoin d’être tonifiée et raffermie. L’enseignement devint trop difficile pour moi et j'optai alors pour une autre voie. Je bifurquai vers des études de bibliothécaire-discothécaire pensant (avec la naïveté de mes 27 ans !) pouvoir utiliser mes connaissances en musique classique dans les discothèques.
Si bien qu’en 1987, j'ai réintégré les COP et fais la connaissance d’une amie, assistante sociale à la faculté de Jussieu. Elle m’a parlé de la possibilité de me faire rembourser mes trajets en taxi en tant qu’étudiante handicapée et je me suis présentée à APF France handicap. Mes parents ont profité de cette opportunité, car ils ne connaissaient pas bien "ce monde du handicap" avec ses droits propres et toutes les possibilités qui existaient alors pour les personnes en situation de handicap. Si bien que je suis devenue adhérente à APF 92 dès 1988. Mes parents m’ont abonnée au journal « Faire Face ». Je rappelle qu’à cette époque-là, je n’étais pas en état de prendre une quelconque décision, car lorsque vous sortez de plusieurs mois de coma ... C’est ainsi que j’ai appris l’existence du Cercle culturel, puisqu’à cette époque un compte-rendu apparaissait dans ce journal après chacune de ses activités ».
Claudie décide alors d’y participer. Les thèmes très classiques des conférences sur la mythologie greco-romaine l’intéressent moyennement, mais elle adore les visites aux musées, particulièrement quand ceux-ci sont fermés au public. En effet, elle se rend compte que c’est un véritable plaisir de circuler sans la foule quand on est en fauteuil roulant. Observer ce qui entrave la mobilité devient une seconde nature. Sur la question, elle se définit comme une militante.
Évidemment, elle s’est engagée dans le cadre de son travail : « Déjà, lorsque j’étais en poste au Conservatoire National de Musique et de Danse de Paris (CNSMDP) en tant que documentaliste de la médiathèque et ce, pendant 19 ans, j’ai "surveillé" l’accessibilité d’un bâtiment, soi-disant accessible. Pour cela, j’ai pris part au Comité d’Hygiène et de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT), comité obligatoire pour toute entreprise de plus de 50 salariés. Le Conservatoire comptait, à mon époque, environ 450 salariés et près de 2000 étudiants de toutes nationalités. Or, dans certains pays, l’accessibilité est une chose complètement évidente. Si bien qu’après de multiples demandes (!), il y a eu l’installation de mains-courantes dans tous les escaliers-même ceux de 5 marches ; de lumières dans des endroits bien trop sombres (escaliers, salle de classe, cagibi, etc.) ; de monte-charges pour accéder à des salles, à des bureaux administratifs, ou pour faciliter la livraison de matériel, tels que de gros instruments comme la contrebasse, le xylophone, etc…mais aussi de rambardes et de planification du sol dans le cheminement d’accès au CNSMDP, et de pavés "versaillais" limés ».
Vous l’aurez compris, Claudie est une véritable boîte-à-idées en matière de proposition pour faciliter l’accessibilité, tant et si bien que son expertise en matière de signalétique pour les Établissement Recevant du Public (ERP) est sollicitée par le siège de l’association de défense des droits des personnes en situation de handicap. Elle ne s’arrête pas à la sphère physique, il y a aussi la musique. Avec APF France handicap du Grand Paris (Paris et les départements de la petite couronne), elle a mis en place un partenariat avec le Conservatoire, « Si bien qu’aujourd’hui des concerts de musique de chambre sont organisés dans les foyers franciliens, gérés par l’association. Ils sont considérés comme des concerts solidaires et se comptabilisent dans l’obtention du diplôme pour tout étudiant en musique de chambre » précise-t-elle.
Claudie a la fibre « jeune ». Dans les écoles primaires, collèges et lycées de son département de résidence, les Hauts-de-Seine, elle mène des opérations de sensibilisation au handicap. Ces sensibilisations présentent le handicap sous toutes ses formes avec des ateliers comme des parcours en fauteuil avec divers obstacles, comme essayer d’ouvrir une porte pour le handicap moteur, ou des parcours avec des cannes blanches pour le handicap visuel.
Claudie est entrée à la commission du Centre culturel en 2008, et elle a repris le flambeau en 2011, jusque-là porté par Marie-Claire Sourdillon. Seulement, étant toujours en activité, les missions du Cercle culturel ont été divisées. Viviane Hauquelin, adhérente d’APF France handicap et ex-responsable des musées à la Ville de Paris a pris en charge la partie visites des musée et Claudie, celle des conférences. Elle en a profité pour varier les thèmes, beaucoup plus « touche-à-tout » maintenant. C’est ainsi que se poursuit depuis près de 40 ans le Cercle culturel APF, créé par Pascale Chaigne.
« Aujourd’hui, étant donnée la situation sanitaire, les conférences -lorsque c’est possible (!)- ont lieu par le biais de la webradio « Radio Roue libre », créée lors du 1er confinement par Jérémie et Johan. Pour l’instant, quatre conférences ont pu avoir lieu. Cela me demande une certaine préparation car, comme toute conférence radiophonique, autant que celle-ci soit vivante et dynamique et qu’il n’y ait pas de blancs ».
« Pour l’instant ma situation physique me permet d’assurer toutes ces actions avec APF France handicap. Une façon pour moi de militer, comme je le disais plus haut, pour l’accessibilité et pour que le comportement des personnes valides vis-à-vis des personnes en situation de handicap change et s’améliore » conclut Claudie.